Zoom sur le processus créatif de Rero

Peux-tu nous rappeler qui tu es ainsi que ta pratique artistique ? 

J’emprunterais volontiers une citation de Nisargadatta Maharaj pour répondre à ta question : « Vous n’avez pas besoin de savoir ce que vous êtes, il vous suffit de savoir ce que vous n’êtes pas ». Mais si je dois décrire ma pratique et mon parcours, je dirais que je suis un un être humain qui signe ses différentes interventions sous le pseudonyme de RERO. J’interviens principalement dans l’espace public, aussi bien naturel qu’urbain car mon identité se compose des deux et j’essaie de l’équilibrer dans mon travail, comme dans ma vie.

J’aime aussi particulièrement détourner différents supports ou contextes afin de mieux les questionner. J’interviens d’une manière quasi systématique, qui est devenue au cours du temps ma manière de décoder le monde et de le digérer. Cela se fait à l’aide de lettres écrites en police Verdana que je rature ou relie par la suite pour en questionner la lecture et créer une polysémie d’interprétations une fois les mots installés In Situ.

Quel est ton parcours, comment as-tu commencé à créer ? 

Mon premier acte artistique s’est fait par le biais du graffiti. Il existait un écart trop important entre l’art dit « classique », qui me paraissait inaccessible, et l’art contemporain, que je ressentais comme trop élitiste. Je n’avais simplement pas étudié leurs codes respectifs qui me permettraient de les apprécier. Le graffiti m’offrait un accès plus direct, plus frontal et me permettait ainsi de combler ce gap et de m’exprimer. Et ce sans avoir besoin d’en connaître toutes ses caractéristiques pour en tirer satisfaction.

Il me permettait de me fixer des objectifs plus abordables. Paradoxalement, et malgré son interdit, il m’offrait une porte d’accès plus spontanée. L’expérience me suffisait pour construire mon langage et mon identité. Il est mon premier coup de cœur et celui qui a fait naître cette envie d’interagir avec le réel, de prendre part à notre monde. Curieusement, j’avais la sensation qu’il fallait transgresser les codes actuels de l’art pour pouvoir réaliser un acte créatif. Comme si les cours d’arts plastiques dispensés à l’école étaient en décalage avec mon époque, que la façon de nous présenter les œuvres d’art était archaïque et peu en lien avec ce que je vivais au quotidien. C’est donc naturellement que j’ai commencé à pratiquer le graffiti de manière très conventionnelle en reproduisant l’imagerie et le style américain. Le rêve américain, Alabama Monroe pourrait vous en dire autant sur ses désillusions. Plus je faisais mes armes dans le graffiti, plus j’avais l’impression de singer une époque new-yorkaise qui n’existait plus et surtout à laquelle je n’avais jamais participé. Une espèce de train fantôme derrière lequel j’essayais de courir. C’était une illusion, mais l’énergie qui se dégageait de ce mouvement m’a permis d’avoir mon premier prélude dans l’art et de faire naître cette envie d’interagir avec mon environnement et le réel.

Au quotidien dans ton travail d’artiste, qu’est-ce qui t’inspire ? Quel est l’élément déclencheur pour la création d’une œuvre ? 

Je dirais tout simplement les mots. J’utilise les mots car ceux–ci résonnent pour tout le monde, pas besoin d’avoir fait des études particulières pour qu’ils nous touchent ou nous repoussent. Ils parlent à tout le monde et chacun peut les interpréter comme il le souhaite, c’est aussi leur limite et c’est ce qui m’intéresse en les barrant. J’aime les questionner, ils prennent une toute autre portée dans un contexte particulier. J’ai commencé à barrer systématiquement tous mes messages.

Ce trait noir, discret au début, car probablement mal assumé, s’est épaissi avec le temps, pour devenir aujourd’hui ma signature, ma manière de décoder le monde dans lequel je vis, de mieux l’interpréter. J’avais trouvé mon langage, ma façon de décrypter les sensations que j’avais sur notre époque. D’essayer de révéler les choses que l’on ne voit pas. Cette barre épaisse me permet surtout de proposer une œuvre polysémique et non d’enfermer la lecture de cette proposition d’une seule manière. Elle permet de poser une question à laquelle je n’ai pas forcément la réponse. Elle offre au passant ou au visiteur le droit de se poser la question. Cette négation peut-être interprétée de plusieurs manières. Cette rature peut souligner le mot à l’instar de Jean-Michel Basquiat : « Je raye les mots pour qu’on les voit davantage. Le fait qu’ils soient rayés donne envie de les lire. »  
Elle peut signaler une contradiction, un oxymore, une idée qui était vraie pour moi à un moment, mais qui a fait son chemin, pour finalement s’avérer complètement fausse, mais qu’il était nécessaire de traduire plastiquement afin de me rendre compte de cette erreur et marquer une rupture liée à ce changement. Cette ligne questionne la notion d’autocensure. Une idée que l’on pense ne pas pouvoir être exprimée dans un contexte particulier. Elle me permet de me dissimuler derrière cette barrière pour exprimer des choses que je n’aurais probablement pas osé exprimer sans elle. Elle m’aide à m’engager. Cette rature nous met aussi en garde contre le poison des mots à la manière de Joseph Kosuth ou de Ben : « Il faut se méfier des mots ». Cette ligne symbolise la limite à ne pas franchir mais aussi l’horizon…

Peux-tu nous expliquer la manière dont tu construis une œuvre ? Quelles sont les différentes étapes de création ? 

Autant mon processus d’intervention peut paraître très « codifié » voir protocolaire, mais quand on a trouvé sa manière de s’exprimer et d’extérioriser ses interrogations sur le monde, on s’y tient, comme je le disais c’est ma manière de digérer et de questionner mon époque. En revanche, la source ou l’essence qui déclenche mon acte peut être très variable.

Mon acte peut être déclenché suite à contexte en particulier, une exploration réelle ou virtuelle, la rencontre d’un support, la rencontre d’une personne, une conversation dans l’espace public ou privé, une sensation ou encore un simple mot. Les frontières comme les sources, sont relativement poreuses dans ma tête et l’art est partout, surtout là où on ne l’attend pas. Ce qui relie toutes mes interventions, je dirais que c’est la question du détournement et de la réappropriation. Par exemple, il m’est difficile aujourd’hui d’intervenir sur une toile blanche produite intrinsèquement pour accueillir une peinture. Toute ma démarche consiste à détourner des contextes, réutiliser des objets et des supports pour leur offrir une nouvelle interprétation. C’est pourquoi j’interviens sur des livres anciens, des coques de téléphone, des vieux journaux, des boites aux lettres et tous types de supports comme le bois, l’acier ou encore le tissus. J’essaie de me réapproprier un support qui existe déjà et de le questionner à travers mon intervention. Pour se faire, j’essaie d’appliquer dans mon travail, une citation d’Antoine de Saint-Exupéry qui dit que la perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer.

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