Zoom sur le processus créatif de Jonk

Peux-tu nous rappeler qui tu es ainsi que ta pratique artistique ? 

Je m’appelle Jonk, j’ai 36 ans et vis à Paris. Je suis photographe de lieux abandonnés.

Quel est ton parcours, comment as-tu commencé à créer ? 

Je découvre la photographie à 11 ans quand mes parents m’envoient en voyage linguistique aux Etats-Unis, où chacun des dix enfants formant le groupe vit avec une famille d’accueil différente. Les quelques clichés souvenirs réalisés à l’aide des fameux appareils oranges jetables sont mes premiers. Durant les six années qui suivent, je pars chaque hiver chez une nouvelle famille dans un état différent, et améliore entre temps mon matériel avec un boîtier argentique d’entrée de gamme.

Après l’avoir troqué pour un appareil numérique de poche, je réalise mon premier voyage en solitaire, à 19 ans. Ce séjour à Barcelone change ma vie, et j’en reviens avec deux passions qui ne me quitteront plus : les voyages (j’ai depuis visité plus de 70 pays) et les arts urbains (street art et graffiti), dont la découverte m’a donné mon premier sujet photographique, et qui m’occupe encore aujourd’hui.

Vivant à Paris, je découvre l’exploration urbaine à la fin des années 2000 avec la toiturophilie, les métros et les catacombes non-officielles. Je trouve alors un deuxième sujet passionnant: documenter la face cachée de la ville et investis dans mon premier appareil reflex, un APS-C. Grimper sur les toits pour la voir d’en haut, se promener la nuit dans le métro ou passer des journées entières dans les catacombes à explorer ses dizaines de kilomètres de galeries et salles creusées dans la roche, je trouve dans cette activité une grande excitation, l’adrénaline que je cherche dans ma vie. Ces explorations urbaines, et mes recherches de photographies inédites de graffiti, m’amènent rapidement dans des lieux abandonnés, où les graffeurs vont souvent peindre pour être seuls, tranquilles, et prendre leur temps pour réaliser de plus grandes et plus belles peintures. Après quelques temps à fréquenter ces artistes, je commence moi-même à peindre dans ces lieux, d’où le surnom «Jonk ». A cette époque, je colle également mes photos de voyages dans la rue.

Voyager, peindre, coller, photographier, vagabonder sur les toits, dans le métro ou les catacombes,  un travail très prenant ne me laisse alors plus le temps de tout faire. A l’heure des choix, je lâche la bombe, le pot de colle, l’altitude et les souterrains pour rester avec la photo de friche, même si je n’ai jamais abandonné mon blaze, symbole de ma période graffeur, très importante pour moi. Je continue alors à voyager, quasiment exclusivement à la recherche de lieux abandonnés, avec ou sans graffiti. J’améliore encore mon matériel avec un, puis deux, reflex full frame.

Aujourd’hui, j’en ai visité plus de mille-cinq-cents dans une cinquantaine de pays sur quatre continents.  

Au quotidien dans ton travail d’artiste, qu’est-ce qui t’inspire ? Quel est l’élément déclencheur pour la création d’une œuvre ? 

Quand je visite un lieu abandonné, il m’arrive de ne pas sortir l’appareil du sac à dos. C’est bien souvent le cas dans ceux fraichement abandonnés, où l’impact du temps qui est passé n’est pas encore visible. C’est ça qui m’attire : ce que j’appelle le decay, les marqueurs du temps qui est passé. 

Avec le temps, mon intérêt se concentre donc sur ce que j’appelle les capsules temporelles, ces lieux sur lesquels seul le temps passé a eu un impact, sans  intervention humaine. J’aime avoir l’impression que le temps est figé depuis des années, des décennies. L’exemple le plus frappant du temps qui est passé est la nature qui reprend le dessus. C’est ce qui m’apparait le plus fort dans ce vaste sujet de l’abandon et donc le sujet sur lequel je décide me concentrer. Il est poétique, presque magique, de la voir reprendre ce qui a été sienne, réintégrer par des fenêtres cassées et des fissures les espaces construits puis délaissés par l’Homme, jusqu’à les engloutir totalement. 

Ce thème s’est imposé naturellement de par la conscience écologique qui m’anime depuis mon plus jeune âge et la force de la question fondamentale qu’il pose : celle de la place de l’Homme sur Terre, et de sa relation avec la Nature. Alors que l’impact de l’Homme sur son environnement n’a jamais été aussi fort, il cherche aussi et surtout à éveiller les consciences, sans être pessimiste. Cette nature qui reprend les lieux abandonnés est clairement ce qui m’inspire le plus. Ce travail est publié dans deux livres Naturalia et Naturalia II parus respectivement en mars 2018 et avril 2021. Le volume III paraitra peut-être en mars 2024, qui sait… 😉

Si ces capsules temporelles liées à la Nature sont certainement les plus fortes d’un point de vue philosophique, ce sont les friches soviétiques qui pour moi le sont le plus sur le plan pictural. 

Qu’y a-t-il de plus fort qu’un théâtre tout décrépi avec une banderole  où l’on peut lire « L’art appartient au peuple ! »  en caractère cyrillique  au-dessus de la scène et  « V.I. Lénine »  en signature de la citation? 

Qu’y a-t-il de plus fort que de se retrouver dans le quartier général des forces soviétiques en Allemagne de l’Est et tomber sur la carte du plan d’attaque stratégique de Berlin en 1945 ?

Qu’y a-t-il de plus fort que de se trouver sur le toit d’un immeuble de 16 étages à Pripiat dans la Zone d’Exclusion de Tchernobyl  et être devant une structure métallique de plusieurs mètres de haut représentant un marteau et une faucille?

Ainsi, je voyage très souvent en ex-URSS pour en photographier les vestiges. Je suis notamment allé 7 fois à Tchernobyl (la capsule temporelle par excellence) où j’amène désormais des groupes.

Peux-tu nous expliquer la manière dont tu construis une œuvre ? Quelles sont les différentes étapes de création ? 

Pour moi quasiment toute la photo repose sur le cadrage. La partie réglage est accessoire et quasi automatique/instinctive. Ainsi, je passe un certain temps à analyser la scène. Je cherche tout le temps à avoir les verticales droites, de temps en temps les horizontales également. J’ai tendance à abuser du grand angle et à essayer de faire rentrer un maximum de chose dans le cadre, mais je me soigne !!

Quand le cadre est fait, « clic » puis je fais tout ce que je peux pour ne pas me faire attraper ! 😉

Suivez le travail de Jonk sur son compte Instagram.

Et pour continuer, retrouvez son ouvrage « Wastelands : l’art en friches » sur fluctushop.fr