À la rencontre de Miss Tic

Les femmes provocantes de Miss Tic attirent les regards et séduisent les passants dans les rues de Paris mais aussi sur Fluctuart. Elles ne se limitent pas à nous charmer : des mots percutants les accompagnent en nous faisant réfléchir. Artistik Rezo nous emmène à sa rencontre.

Quel a été votre parcours ? Comment et pourquoi avez-vous commencé à peindre sur les murs ?

C’était il y a bien longtemps, je faisais du théâtre de rue. Après j’ai passé presque trois-ans aux États-Unis, au tout début des années quatre-vingts et j’ai vu la naissance du hip hop, des graffs. En revenant à Paris il y avait des jeunes étudiants des beaux-arts qui peignaient dans les rues avec des méthodes différentes : certains y recouvraient des panneaux publicitaires, d’autres peignaient sur les palissades. Il y avait des multiples techniques. Tout ça a fait quelque chose en moi et j’ai décidé de peindre dans la rue. J’ai utilisé le pochoir car pour moi c’était une technique qui donnait la possibilité de reproduire mes images plusieurs fois et puis très vite j’ai décidé de rajouter aux images des textes, comme moi j’adore la poésie et la littérature.

Pourquoi justement vous avez décidé de faire parler vos personnages ? Quelle est l’importance que vous accordez aux mots, à la littérature ? 

J’aime lire : pour moi la lecture a été une grande ouverture sur le monde, sur moi, sur les autres, donc c’était aussi une façon de redonner ce que moi j’avais reçu avec ce medium.

D’où vient votre nom, Miss Tic ? 

Quand j’ai commencé c’était une époque où tous les artistes prenait des pseudonymes. Miss Tic est le nom d’une sorcière qui est dans Picsou, c’est un journal de l’époque de Mickey. C’est un personnage Disney. Picsou est un canard qui est très riche et elle, Miss Tic, est un peu la “looseuse” : elle essaie de lui voler son sou-fétiche mais elle n’y arrive jamais. C’est justement l’image de la sorcière qui me plaisait bien. En plus elle est une sorcière qui rate tout ce qu’elle fait. Et puis avec ce nom j’annonçais directement que j’étais une femme.

Les femmes dans le monde de l’art urbain ne sont pas encore autant nombreuses que les hommes. Est-ce que quand vous avez commencé ça a été difficile de se faire une place dans ce monde ? 

Avec les autres artistes je n’ai pas eu de problème. Après, dans le marché de l’art c’est plus compliqué, ce n’est pas que dans le street art. Dans les arts plastiques, par exemple, les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes. Il y a beaucoup de graphistes femmes, illustratrices, mais en peinture et sculpture moins.

C’est lié à la condition de la femme, ce sont des métiers où il faut être libre car ce sont des métiers très prenant, où c’est difficile d’avoir une famille. Donc socialement, dès qu’on a des enfants c’est plutôt la femme qui s’en occupe. C’est un miroir de la société, il y a encore beaucoup de travail à faire.

Les femmes que vous représentez sont très séduisantes, sexy, provocantes et les phrases qu’elles prononcent sont très percutantes et font réfléchir. Quelles sont vos sources d’inspirations, et est-ce qu’il y a un message que vous voulez transmettre ? 

Il n’y a pas un message, je trouve que déjà le simple fait d’être artiste est une façon d’être au monde.

Mais c’est vrai que, pour ce qui concerne les femmes, avec mon écriture c’était difficile d’illustrer les mots. Au début j’ai fait des autoportraits et puis je me suis un peu lassé de travailler sur mon image. Puis, un peu comme une coïncidence, mais d’un seul coup, j’ai utilisé comme modèle cette femme qui nous donnent à voir dans les médias comme la publicité, les magazines féminins, qui normalement est là pour vendre des produits. J’ai voulu lui faire dire quelque chose.

Justement vos personnages sont des femmes “parfaites”, qui incarnent complètement les critères de beauté. 

Exactement, elles sont jeunes, en bonne santé, sexy.

C’est pour ça que vous avez fait ce choix ? Elles se rebellent d’une certaine façon par leurs mots ? 

Oui, c’est-à-dire qu’on peut combiner pensée et féminité. En même temps je ne suis pas non plus une militante, je ne fais pas ce travail pour défendre la cause des femmes. Car les femmes, je pense qu’on est quand même un peu responsable de ce qui nous arrive, c’est comme dans le couple, on est quand même en occident, où, dans ce sens-là, on a la possibilité de dire non.

Concernant les murs où vous peignez, vous improvisez ou vous les choisissez à l’avance ? 

Je fais des repérages. J’ai été condamné en 1999 pour avoir peint sur les murs. Jusqu’à cette date-là j’ailais la nuit et je choisissais les murs mais je le faisais de façon illicite. Après la condamnation, comme la procédure a été très longue, ça a duré deux ans, ça m’a beaucoup fait réfléchir. Donc j’ai décidé à ce moment-là de demander des autorisations.

Depuis, je m’adresse aux commerçants et je leur demande l’autorisation : à condition que j’ai carte blanche. Comme ça pour le public ça ne change rien et je n’ai plus de problèmes avec la justice et la police.

Quels sont vos projets pour le futur ? 

J’ai beaucoup de projets qui ont été annulé. J’ai un projet plus lointain qui devrait se faire, chez Artazart, une libraire-galerie spécialisé dans le graphisme et la photo à Paris et qui fête ses vingts ans en réinvitant les artistes qui ont fait des souches chez eux. C’est une façon de les retrouver.

Plus d’informations sur le site Internet de Miss Tic.

Propos recueillis par Violagemma Migliorini.